Clément, un petit tatier dans la tête

protrait-clement-300* Tatier, c’est le nom patois d’un pied de viorne. Par extension, le nom désigne aussi un panier en éclisse de viorne…

Clément a tourné son béret en visière au-dessus des yeux. Déjà les ombres s’allongent sur les prés au pied de la maison forte de Mestrena**. Encore tièdes, les sous-bois de Vaures sentent bon le pin, la mousse et les champignons.

 

Envie de tricoter des p’tits paniers

« Tu veux des gros bâtons pour tirer des tanes ? »
La réponse retentit d’entre les troncs des pins :
« Non-non-non, j’ai envie de tricoter des petits paniers ! » Les bâtons minces et vieux font les petits arceaux des petits paniers, s’ils sont un peu courts. Bien longs, Clément y tire les tanes pour le début du tricotage d’un panier, petit ou moyen, pour lier la anse et le tour du haut.
« Eh oui, ici ont dit la anse… A ti ! » Il n’est pas nécessaire qu’ils soient bien droits, ce qui est souvent le signe de bâtons de moins de deux ans. Quatre ans, c’est mieux ! Peu importe qu’ils soient un peu tordus.
« C’est pas le bois qui commande, p’tiot ! »
Mi-courts, mi-longs, 1,20 m au maximum, ils coudront un pailha… sans qu’il soit nécessaire de trop tendre le bras pour serrer la boucle ! On garde l’extrémité qui sert d’aiguille un peu plus épaisse, taillée en pointe, pour qu’elle s’enfile bien entre les brins de paille.

Et Clément de s’enfoncer sous bois, les esclops aux pieds s’il fait assez sec, ou chaussé de bottes pour tracer le chemin parmi les ronces. Le blouson, le bourgeron noir, en grosse toile, passent sous les branches et ronces sans s’accrocher, comme la laine. Inamovible, le béret, chaud l’hiver, frais l’été. Coutumier, surtout…
Ses apprentis ne s’éloignent pas trop de lui. À portée de voix. L’âge et l’amitié, bien sûr. Et parce que Clément commente, raconte… « Y’en a point, ici ». Ou bien : « J’ai un beau pied, là, mais c’est trop gros ou trop jeune. » « Ah, ça c’est joli ! »
Ou, moins enthousiaste :
« C’est pas tout vilain ! »
Et toc, résonne la hachette du Clément, aiguisée comme rasoir : « Saleté de lierre, ça étouffe les arbres.»viorne

De viorne en noisetier

Montrant les feuilles aplaties au pied d’un pin : « Vois ! un lèbre a gîté là et passé sous ces ronces. »
De retour, le fagot est lié, pas trop serré, et planté debout, les pieds dans le bachat qu’une source emplit d’une eau fraîche, à l’ombre du grand tilleul.

De coupe de viorne en coupe de noisetier, Clément nous apprend à regarder. À voir. À choisir les bons bâtons pour l’usage prévu. Gros comme un pouce, ils seront trop difficiles à plier sur le genou pour détacher les tanes après que l’écorce a été grattée. Gros comme un index, les bâtons donneront des clisses s’ils ne sont pas trop noueux et ne font pas de baïonnette*. Bien longs, ils feront les tanes d’un panier tout en viorne. Les tanes les plus larges feront le fond du panier. Gros comme un petit doigt, ce sera parfait pour « la anse » ou le tour, que Clément gratte pour enlever l’écorce, courbe, maintient en forme avec de la ficelle, et place à sécher au-dessus du fourneau-bouilleur*.

Le « rotin d’Auvergne »
« Il faut qu’ils soient bien secs, sinon le bois se rétracte et les attaches en fil de fer ne tiennent plus, c’est que… »
« A ti ! C’est comme un jeu ».

clement-marcheLorsque des visiteurs des foires d’été demandent à Clément :
« En quoi ils sont vos paniers : du rotin ? »
« Oui, du rotin d’Auvergne… »
Puis d’enchaîner, piquant et goguenard devant les visages perplexes, ses yeux bleus taquins plantés dans ceux des questionneurs, ravi de l’effet produit, faussement détaché : « C’est de la viorne ! »
« De la quoi ? »
« De la viorneu ! »
« Ah ?… Un genre d’osier alors ? Et ça pousse au bord des ruisseaux ? »
« Non ! La viorne, les « tates », les « tatiers* », si vous préférez, ça pousse dans les sous-bois de pins pas trop épais. En terrain volcanique, pas granitique. Plutôt du petit sol. En même temps que le « tape-cul* », l’alisier et les ronces. Sur les talus aussi, mais quand elle est trop souvent coupée, elle buissonne. Alors qu’à l’ombre, dans un bois tourné au nord, elle monte et fait de longs bâtons avec peu de nœuds. »
Il faut voir la tête des visiteurs… Et nous, la nôtre qui accompagnons Clément, amusés par la petite scène de théâtre, à chaque fois réussie.
« Et, ici, dans la région, on n’est plus que trois à en faire. »

Extrait de l’article écrit par Gilbert Duflos,  paru dans Le Lien créatif n° 1 (numéro épuisé).