Denis la malice

Image 1Ce jour-là, Jean-Marc, ami et complice de ce dossier sur les engins de pêche en vannerie, nous conduit jusque chez Denis… « Il faut absolument le rencontrer, le p’tit père Denis », insiste-t-il !
Le vannier n’a pas la langue dans sa poche, il aime rire et en faire profiter ceux qui le côtoient, tant et si bien que le titre affectueux de ce portrait s’impose de lui-même ; que Denis la malice ! Qu’il nous pardonne
cette familiarité… La rencontre a eu lieu lors d’un cours, donné auprès d’une dizaine d’élèves , et elle s’est prolongée le lendemain sur les dunes des côtes de la Manche, où la rencontre avec un garde du conservatoire du littoral a produit des résultats inattendus…

L’oeil pétillant…

– Ceux du village, là-bas, on les appelle les « culs-salés » !
– Les « culs-salés » ?
– Ben oui, tu vois la digue là, elle est censée protéger le hameau, mais quand la marée est trop forte et que le vent s’en mêle, qu’il pousse les vagues aux fesses, la mer passe par-dessus et au matin les habitants de ces maisons, ils se lèvent les pieds dans l’eau !
L’oeil pétillant de malice, Denis nous conte, avec son humour habituel, l’histoire des villages des côtes de la Manche. Et de l’humour, il n’en manque pas, enchaînant les blagues à un rythme qui pourrait lasser son auditoire, si le contenu du propos n’était pas tout simplement passionnant… Mais il est captivant, Denis la malice, et on lui pardonne tout !
Il est né là, connaît chaque hameau et lieu-dit, se souvient de qui y cultivait la terre et ce qu’ils y faisaient pousser… En un peu plus de 80 printemps, il a glané tant d’anecdotes qu’il est devenu l’encyclopédie vivante du lieu… Rien ne lui échappe et, ce matin, malgré le manque de temps, il nous entraîne jusqu’à un chemin récemment baptisé « rue de l’osier », parce qu’il n’y a pas si longtemps, on y cultivait le saule à paniers et à hottes. Les besoins des maraîchers ou ceux des mareyeurs et des pêcheurs en vanneries solides étaient si importants que l’économie locale justifiait cette culture. Grâce à ce nouveau toponyme, la petite histoire de ce village restera dans la mémoire commune, même si demain, l’urbanisation galopante fait pousser sur ces lopins
de terre maraîchère des lotissements bien ordonnés.
Poursuivant notre route, nous croiserons à plusieurs reprises des oseraies à l’abandon, signe d’un temps où le secteur comptait plusieurs grosses entreprises de vannerie, en capacité d’acheter la récolte sans rechigner et d’encourager son développement.

hottepeche

« Bougre de con ! »

Mais Denis Henry nous rappelle aussi que les paniers ne furent pas toujours en osier. Les pêcheurs les plus pauvres, les sans terre, allaient récolter dans la nature les matériaux dont ils avaient besoin et c’était gratuit. Ainsi, la vannerie sauvage était une réalité bien avant qu’elle ne devienne à la mode!

Alors que notre ami nous montre comment réaliser une « hotte » de pêche à pied, Denis évoque ses souvenirs d’enfance.
Chaque année, il accompagnait sa mère à la corvée de ramassage des racines de saule rampant, dans les dunes toutes proches. Si cette collecte maison, c’est parce qu’alors, la confection des paniers était une activité secondaire, liée au foyer… Les femmes tressaient, pendant que les hommes eux faisaient leurs journées en extérieur pour ramener le déjà sacro-saint «salaire principal»! Le complément de revenus du à la vente de vanneries n’était certes pas à négliger, il permettait de mettre du beurre dans les épinards, mais il restait accessoire.
À cette époque, les paniers étaient indispensables (et indissociables) au bon déroulement de la plupart des activités quotidiennes. C’était si vrai, que les paniers étaient bichonnés, on les faisait durer.

recolteracinesaule
Ainsi, Denis se remémore toutes les précautions prises par son grand-père mareyeur. Pour que ses paniers résistent le plus longtemps possible, lui les lavait à l’eau salée – le sel les protégeant des attaques de vers – puis, il les faisait soigneusement sécher à l’ombre, afin qu’ils ne sèchent pas trop brutalement, ce qui aurait ruiné leur résistance. Et, quand l’homme, soucieux de ses biens, voyait un de ses collègues maltraiter ses outils et laver ses paniers à l’eau douce, puis les laisser traîner au soleil, Denis l’entend encore maugréer «bougre de con, y va m’les pourrir ces paniers» ! …….. (La suite dans le dossier pêche du n°4 de juin 2013)