Une vie au service des abeilles

MR_RIGAULTDepuis qu’il est gamin, la vie d’André Rigault tourne autour des abeilles : apiculteur, il fut aussi fabriquant et tresseur de ruches. S’il est une évidence qui ressort d’une visite rendue à cetrigaud octogénaire alerte, c’est bien celle-ci : cet homme mériterait de figurer au Guinness des records et ce pour plusieurs bonnes raisons.

 

80 ans de pratique

En 1928, en Gâtinais, la nature explose de 1 000 richesses, il n’y a pas de grands efforts à faire pour récolter du miel. Cette année-là, le petit André voit le jour et, sans que personne ne la remarque, une abeille vient se poser sur son berceau !

Peu de temps après ses grands- parents l’initient à l’apiculture, à l’époque le miel ne coûte rien, quand le sucre raffiné, lui, a grande valeur ! Chacun possède ses ruches et sait les fabriquer. Mais, les grands-pères étaient allergiques aux piqûres de leurs abeilles ;

aussi, très tôt, on confia au petit André le soin de s’occuper des ruches pleines. De ces premiers contacts naît une passion pour l’abeille qui ne se démentira pas !

Premier record donc, à 6 ans à peine, André touche sa première ruche en viorne ; et à 8, il tresse seul ses premiers paniers à mouches à miel. 1936, 2014, faites le calcul : cela fait donc près de 80 ans que l’apiculteur/vannier exerce son art. Même si aujourd’hui des douleurs au bras et à l’épaule l’empêchent de poursuivre son œuvre monumentale, admettez que la performance mérite un coup de chapeau !

De 3 000 à 5 000 !

Ce n’est pas tout. Comme il n’a jamais vraiment arrêté, qu’en moyenne il a fabriqué de 50 à 60 ruches par an en vannerie, un rapide calcul montre qu’au cours d’une vie bien remplie, André a dû passer entre ses mains de 3 000 à 5 000 paniers à abeilles… Certes, toutes n’étaient pas de grandes tailles, beaucoup étaient décoratives, certaines à peine plus hautes qu’une boîte d’allumettes, mais quand même, ce nouveau record sera difficile à battre !

On pourrait s’arrêter là et remettre à André une récompense bien méritée, mais non, ce n’est pas tout… Son goût pour la performance l’a poussé à tresser la plus grosse ruche gâtinaise au monde! Plus d’un mois de travail (on imagine le temps passé à la récolte) pour cette ruche en viorne de 2 m de haut, capable de contenir un adulte. Elle trône à ses côtés alors qu’il nous présente les arnas et leur piello, des ruches marocaines allongées et leur couvercle qu’il a reconstitué à partir de documents anciens. Ces vanneries, bardées d’argile, sont habituellement disposées à l’horizontale dans des grottes…

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Dans le même esprit, André a également tressé des ruches roumaines, des capte-essaims pyrénéens (panier basque) et bien d’autres modèles glanés çà et là.

Il a beau se défendre d’être vannier, avec un tel palmarès, personne ne peut lui enlever ce titre. Comme il y eut des paysans-vanniers ou des pêcheurs-vanniers, la lignée des apiculteurs-vanniers fut elle aussi très dynamique. André, en représentant infatiguable des tresseurs du Gâtinais, a toujours cherché à transmettre cette passion. La petite salle où il expose ses modèles décoratifs regorge d’outils pédagogiques qu’il a préparés pour initier le public. Panneaux didactiques, ébauches de ruches, bâtons fendus ont maintes fois été présentés à un public ravi, y compris à la chambre d’agriculture du Loiret !

Modèle « Gâtinais »

Les ruches proposées par André à un grossiste local jusque dans les années 1990, étaient toutes réali- sées sur le même modèle appelé du « Gâtinais ». Ses ruches cloches ont la spécifité d’être en forme de clocher d’église. Hautes de 60 cm et d’un volume de 50 litres environ, elles présentent une taille resserrée qui fait leur charme. Leur efficacité aussi, cela permet un meilleur maintien des rayons de cire qui sont également fixés aux quatre « gardes » centrales, constituées par le cœur de la tige de chêne fendue. Si les ruches fabriquées par André sont principalement en éclisses de viorne flexible (Viburnum lantana L.), tressées sur une armature de chêne, le vannier sait que « tout ce qui se plie bien peut être utilisé ». Lui, sa préférence, c’est la viorne! Accessoirement troène, osier jaune (dit de vigne !) et bourdaine qui pousse aux bords des rivières. Il se sert aussi de la ronce pour attacher la fin du tressage, à la base de la ruche.

Le squelette est en chêne, un jeune tronc ou rejet, de 2 à 3 cm de diamètre. André précise que plus son écorce est rugueuse, meilleur il est… Sous-entendu, plus facile à fendre ! Car effectivement, on le verra au moment de la mise en pratique, c’est bien la refente des 16 côtes principales qui est le plus délicat dans ce travail.

La récolte des bois se fait à lune montante, de la nouvelle lune à la pleine lune, soit pendant 14 jours, moins les deux nœuds lunaires (5 h avant et 5 h après les changements) ! André a fait de multiples observations, il sait que, chez lui, respectant cette règle, « les capricornes ne viendront pas dans le bois, qu’on le récolte en août ou en décembre ! ».

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Pour le tressage, s’il préfère la viorne, c’est parce qu’elle est plus souple que l’osier lui-même… Quant à la bourdaine, elle ne supporte pas la chaleur, il faut constamment la garder à l’humidité.

La toute première opération va consister à chauffer la tige de chêne, « jusqu’à ce qu’elle bouille », c’est-à- dire jusqu’à ce que ses deux bouts bouillonnent de sève chaude.

rigaud2Ensuite, on suit le schéma dessiné par André et présenté à qui veut apprendre. « Il faut un coup de main, n’y arrive pas qui veut du premier coup, mais avec l’habitude, ça va vite, quand j’étais plus jeune, il me fallait à peine 20 minutes pour préparer les côtes ».

Dans le dessin central, le bois est d’abord fendu en 4 (1), par le milieu, puis on décolle les gardes centrales (3) et on dédouble les quartiers, dans la largeur (4) et dans l’épaisseur (5). La technique de la fente, celle qui permet de lever des côtes régulières, il la décrit avec ses mots : « Quand t’as une côte qu’est plus grasse (qui a tendance à devenir plus épaisse), faut la plier un peu plus, alors la maigre prends du gras à son tour. »

Ce travail effectué, le vannier se retrouve avec un bois fendu en 20 parties : 2 couronnes de 8 côtes chacune, soit 16 côtes, plus les 4 gardes centrales. Retenez aussi qu’on fend toujours par le pied et qu’on commence par le cœur!

Vient ensuite le tressage. Le début est délicat, « faut avoir une éclisse fine et pas passer entre les côtes » ! On ne tresse que les 8 côtes externes, on les sépare. Puis très vite on tresse avec 3 éclisses simultanément, chacune à son tour est passée devant 2 côtes et rabattue derrière 1 ! André appelle ce tressage une « torse », l’équivalent de la torche en vannerie académique. Tout le tressage est garni ainsi et, si tout est prêt, « ça va vite », précise André qui, nouveau record, pouvait monter jusqu’à 4 ruches par jour, « fallait pas chaumer et les journées de travail ne faisaient pas 7 heures ! ». À la fin du tressage, à la basse de la ruche, il bloque les 2 ou 3 dernières torses, pour ne pas qu’elles se démontent, soit avec une sorte de grosse « agrafe » en fil de fer galvanisé, soit avec une éclisse très souple de ronce, en 3 à 4 points d’attache. Enfin, il restera la dernière opération : barder la ruche, l’habiller d’un enduit protecteur! Cela se fait avec de la bouse de vache fraîche, mais pas n’importe laquelle, « regardez, celle-là

je l’ai bardée avec la bouse de vaches nourries à l’ensilage, ça tient pas ! ». Là encore, il y a l’art et la manière d’opérer, il faut utiliser de la bouse de vaches qui pacagent dans des prairies naturelles dit-il sans autre commentaire. Une fois la bouse fraîche étalée, il saupoudre la ruche de cendre, ensuite, on fait sécher à l’ombre.

Il sait de quoi il parle

En dehors de l’époque où il a travaillé avec ses grands-parents, André n’a pas utilisé ces ruches qu’il fabriquait par plaisir et par centaines. Il se souvient parfaitement de leur mode d’emploi Du temps des grands-parents, pour récolter une ruche gâtinaise sans détruire la colonie, il fallait d’abord transvaser ses occupantes dans un autre panier! Ce n’était pas une mince affaire… Les ruches à « calotte » sont apparues et ont un temps donné satisfaction, mais cela ne suffit pas.

Ensuite, il fallait presser la cire dans des torchons solides pour obtenir le miel, c’était un travail pénible. L’apparition des ruches à cadres a été, reconnaît-il, un vrai progrès, mais d’ajouter aussitôt, « c’est aussi comme ça qu’on a multiplié les maladies ». Cet ancien responsable apicole sanitaire départemental sait de quoi il parle, il a eu jusqu’à 400 ruches Dadant réparties en 35 ruchers! En attendant, il a su, dans un parcours peu ordinaire, marier la technicité d’une apiculture productiviste au maintien d’une tradition multiséculaire, ce n’est pas la moindre de ses prouesses, quand on sait à quel point l’idéal dominant a su évincer toutes velléités d’alternatives économiques, y compris dans des domaines comme l’apiculture ou la vannerie !

 

Extrait du dossier « Des paniers au service des abeilles » LLC n° 7
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